Retrait des accusations

JUSTICE/La presse
Coup de théâtre dans un procès de meurtre La Couronne se rend aux arguments de la défense CHRISTIANE DESJARDINS LA PRESSE Dans un revirement de situation inusité, la Couronne a retiré l’accusation de meurtre avant la fin d’un procès devant jury, parce que le procureur du ministère public ne croyait plus à sa cause.
Michael Gero, 27 ans, était accusé depuis 2014 du meurtre non prémédité de sa conjointe. Son procès devant jury a commencé le 10 février, à Montréal. Le procureur de la Couronne, Me Jacques Dagenais, a présenté sa preuve et ses témoins. Après, l’accusé a témoigné pour sa défense. Or, après avoir entendu ce témoignage, Me Dagenais n’était plus moralement convaincu de la culpabilité de M. Gero.
« Je n’ai aucun argument pour démontrer qu’il a tiré sur la victime. Toute la preuve démontre que ce n’est pas lui qui a tiré. Au début, je croyais avoir une bonne preuve. » — Le procureur de la Couronne, Me Jacques Dagenais, la semaine dernière Me Dagenais demandait alors à la juge d’imposer au jury un « verdict dirigé d’acquittement ». La juge Hélène Di Salvo a refusé, car elle estimait qu’il n’y avait pas absence totale de preuve. « Moi, j’en ai vu plein d’invraisemblances », a-t-elle dit, avant de signaler qu’il revenait au jury de juger les faits.
Me Dagenais a consulté ses supérieurs, et c’est une autre option qui a finalement été adoptée : l’arrêt des procédures sur le chef de meurtre. Tout cela a été fait hors de la présence du jury. Ce dernier a été convoqué, hier, pour être informé de la fin abrupte du procès. La juge a expliqué que c’était « exceptionnel, très, très, très rare », qu’un procès devant jury finisse ainsi. Les jurés avaient l’air décontenancés, en repartant.
UNE BALLE DANS LA TÊTE
Sherri Amanda Thomas,19 ans, a été tuée d’une balle dans la tempe gauche, le 19 novembre 2013, dans l’appartement qu’elle occupait avec Gero, sur le Grand Boulevard. Il n’y avait qu’eux deux dans l’appartement, ce fameux matin. Un couple, voisin de palier, a raconté avoir entendu des cris de dispute, vers 7 h 30, comme cela arrivait souvent. Il y a eu des pas de long en large, le son de la douche qui coulait, puis un coup sec.
À 7 h 53, complètement paniqué, Michael Gero a appelé le 911 pour signaler que sa conjointe s’était fait « tirer à la tête ». Il a appelé sa mère pour dire la même chose, puis a demandé l’aide de la voisine, pour appeler les secours. À l’arrivée des policiers, Gero était en boxer, tout mouillé et ensanglanté. Il a dit qu’il était dans la douche quand il y avait eu un coup de feu. Mais voilà, il n’y avait pas d’arme à côté de la victime, qui aurait pu expliquer un suicide. Les policiers ont trouvé 83 balles de .22 dans une boîte tachée de sang, dans la chambre principale. Il y avait du sang en différents endroits de l’appartement, et même sur une chaise, sur le balcon. L’arme du crime a été retrouvée tard le soir, sur le toit de la maison. Un pouce ensanglanté, celui de Gero, allait être identifié sur l’arme. Le tir a été effectué de très près, car il y avait du noir de fumée autour de la plaie.
TÉMOIGNAGE-CLÉ
Au procès, Gero a raconté avoir trouvé sa conjointe ensanglantée dans la cuisine, en sortant de la douche. Il a paniqué, a balancé l’arme sur le toit. Ceci parce que depuis qu’il était sorti de prison, en 2011, il n’avait pas le droit d’avoir une arme en sa possession. Gero, ancien vendeur de crack, avait l’arme depuis plusieurs années, pour sa protection.
Ce témoignage a ébranlé les convictions de Me Dagenais, un procureur de la Couronne de grande expérience, reconnu d’ailleurs pour sa ténacité. Libéré du meurtre, Gero a plaidé coupable à des accusations de possession d’arme prohibée et bris d’ordonnance.
Hier, les avocats des deux parties ont proposé d’imposer une peine de quatre ans à M. Gero. La juge Di Salvo rendra sa décision aujourd’hui.
PROFIL DE MICHAEL GERO
Michael Gero a des antécédents judiciaires, dont les premiers, alors qu’il avait 16 ans. On y retrouve notamment : vol, trafic de drogue, ainsi que voie de fait dans un contexte de violence conjugale avec une conjointe précédente. Il a une fille de 7 ans. Au moment des faits, il allait à l’école cinq jours par semaine, ont fait valoir les avocats. Il est détenu depuis le jour du drame.
Michael Gero est resté impassible tout au long des discussions. Quand la juge lui a demandé s’il avait quelque chose à dire, hier, il a répondu non.
Me David Petranic, qui représente Gero, croit qu’on ne saura jamais vraiment ce qui s’est passé ce fameux matin, s’il s’agit d’un accident, ou d’un suicide, dit-il. La pathologiste n’a pas écarté la thèse du suicide. En ce qui concerne son client, il est bien sûr soulagé.
« Il voit la porte de sortie qui approche sous peu. C’est une histoire très triste. Il n’y a aucun gagnant. M. Gero a perdu trois ans de sa vie, et une personne qu’il aime extrêmement. On a toujours prétendu qu’il était innocent, et c’est ce qui ressort, même du ministère public, » a-t-il dit.
Dans les mots de Me Dagenais
« La chose la plus stupide à faire : un suicide par arme à feu sans qu’il y ait une arme à feu à côté de la victime. » « Oui, il y a des zones d’ombre. Le sang a été déposé après le crime. Le sang, ça ne mène nulle part. » « Je pense que s’il y a un verdict de culpabilité, ce serait un verdict déraisonnable. » « Si je suis rationnellement non convaincu de sa culpabilité, il m’est très difficile de plaider le contraire. » « On a une preuve tellement mince. Notre seule preuve à charge est l’arme, trouvée dans un endroit où elle ne doit pas être. Le technicien a dit que le pouce [de l’accusé sur l’arme] était déjà empreint de sang. L’empreinte est tellement nette, ce n’est pas une manière d’atteindre la gâchette. » « Ce que l’accusé dit est corroboré par la preuve. » « Le seul élément de preuve qu’on avait, il y a une explication raisonnable. »